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Vulnérabilité en période de crise sanitaire

Dernière mise à jour : 24 juin 2020

Confinée, mais pas seule


Sara est une femme de 50 ans qui vit dans une maison relais. Regroupant plusieurs logements autonomes, ce type d'établissement propose un accompagnement adapté aux personnes qui y vivent. Durant le confinement, Sara s'est appuyée sur les professionnel·le·s autour d'elle, mais elle a également puisé dans ses propres ressources pour faire de cette épreuve une expérience positive. Après une longue hospitalisation, Sara a réintégré la maison relais et s'est progressivement remise des problèmes de santé qui la gênaient. Elle nous raconte son confinement :



Sara : Moi je vous dis, je vis très bien le confinement. En plus, je vais vous dire, ça m'a aidée à me recentrer aussi sur moi-même, seule. C'est-à-dire dans le sens où comme je vous l'ai expliqué au début, que j'avais un gros problème avec ma solitude, et c'était surtout la solitude du soir qui me pesait énormément. Et je trouve que ouais, je trouve que je le gère très bien maintenant.



 

I. Vulnérabilité et crise sanitaire : entre risque et lien social


L'entrée en période de confinement a suscité beaucoup d'inquiétude chez Sara, de par l'exposition de certain·e·s de ses proches et de par l'afflux d'informations à la télévision.



Hublot social : Comment avez-vous vécu le premier jour de confinement ?



Sara : Alors, en fait, je l'ai pas très bien vécu parce que, comment dirais-je, j'ai mon entourage qui a été touché directement donc ça, je l'ai pas bien vécu du tout parce que bon... J'ai ma sœur qui a attrapé le Covid et comment dirais-je mon conjoint qui vit sur la région parisienne. [...] C'est que je reste inquiète pour mon propre fils qui va avoir 20 ans, qui travaille comme caissier, en fin de compte, dans [une enseigne de supermarché]. Donc, en fait, il a accepté de travailler pendant le confinement parce que du coup, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il travaille à la base, même en temps normal quand il a ses cours. Il travaille tous les week-ends dans ce [supermarché-là] donc l'employeur lui a demandé de venir travailler toute la semaine. […] J'ai beaucoup pleuré. Oui, parce que j'ai été vraiment très inquiète et puis bon tout ce qu'on entendait en fait à la télévision, c'est vrai que c'était très anxiogène pour moi. Donc, et du coup, je me suis dit bon, ''il faut que tu arrêtes d'écouter les informations parce que finalement, tu vas te rendre malade''. Et donc, ben, c'est parti de ça que je me suis dit il faut que j'arrive à occuper mon esprit, surtout pour ne pas penser qu'à cette chose-là.



Pour lutter contre la propagation du Covid-19 en France, un certain nombre de consignes sanitaires ont été mises en place et resteront en vigueur pendant un temps indéterminé. Ces mesures de santé publique ont des incidences sur l'ensemble de la population, et peut-être plus spécifiquement pour des personnes qui ont des « fragilités ».



Sara : [à propos des consignes sanitaires] C'est-à-dire qu’à chaque fois que j'allais au magasin faire mes courses, je rentrais à la maison. J'enlevais tous les emballages carton, je les jetais aussitôt et en fin de compte, j'en étais rendue à laver tous mes produits, à passer une lingette dessus, sur tous mes produits, avant de les mettre dans mon frigo. Vous voyez, où j'en étais rendue ? Et puis bon on m'a dit ''mais t'as pas besoin de faire tout ça''.



Hublot social : Qui vous a dit ça ?



Sara : Les professionnels, bah qu'on m'a expliqué qu'il fallait peut-être pas aller jusque-là. Et donc du coup, mais c'était plus fort que moi, il fallait que, je sais pas. Et puis même quand je revenais du magasin, j'avais toujours l'impression d'avoir les mains sales. Vous voyez ? De savoir que j'avais touché des produits. Mais à chaque moment, en fait, quoique je puisse faire avec mes mains, et bien, c'est comme si c'était devenu un automatisme de faire quelque chose et de se laver les mains tout de suite derrière. J'ai toujours l'impression d'avoir les mains sales quoique je puisse toucher, c'est étonnant.



Malgré le confinement, Sara a pu compter sur les professionnel·le·s qui ont répondu présent·e·s au quotidien pour faire face à cette épreuve :



Sara : Donc là, là ça partait dans quelque chose qui n'était pas bon pour moi. Donc j'ai pu en discuter avec, comment dirais-je, un des professionnels de la maison relais et le fait d'en parler, c'est vrai que quelque part, il y avait quand même un échange donc je ne restais pas vraiment toute seule avec ce mal-être. Donc ça pouvait m'aider un petit peu à décrocher, à me dire ''bon bah voilà, faut pas que tu restes comme ça, à te poser un tas de questions parce que bon''. Oui, ça a pris bien deux semaines avant que je décide vraiment de sortir de cet enfermement là et psychologiquement, voilà quoi...

Hublot social : D'accord. Donc vous avez toujours pu être accompagnée par la maison relais ou peut-être d'autres professionnel·le·s ? Est-ce que vous avez repéré un changement entre l'accompagnement avant le confinement et l'accompagnement pendant le confinement ?



Sara : Non parce qu'autant avant, on pouvait aller directement à la maison relais, il y avait toujours un professionnel qui était présent. On demandait à s'entretenir individuellement dans le bureau. Tandis que là, il y a quand même, c'est resté, si vous voulez... Comment je pourrais vous dire ça... C'est resté, il y a eu toujours ce lien entre les professionnels et nous parce qu'il y avait un des professionnels qui restait joignable par téléphone en cas de besoin. […] On n'a pas été, je veux dire, livré un petit seul où fallait gérer vraiment la chose seul. Il y a toujours eu des accompagnants, moralement, même pour les personnes à mobilité réduite qu'ont pu être dépannées autrement comme par exemple pour des petites courses ou bien aller à la pharmacie. Voilà donc moi, je trouve que le personnel a été très-très présent, oui.



Toujours à distance, Sara a pu maintenir les liens via les réseaux sociaux et a également pris part à des sociabilités :



Sara : Je communique aussi via les réseaux sociaux, avec mes amis. Donc, soit je vais faire par exemple des vidéos, où on va se voir, ça garde quand même un lien avec l'extérieur. C'est vrai que je fais aussi, bon je suis très accro’ au poker. Donc même le poker crée aussi du lien puisqu'il y a des chats de discussions, on peut parler entre amis de poker. En fait, les réseaux sociaux font qu'on garde un lien. Et sinon, pendant une petite période aussi parce que j'ai un compte Instagram et donc du coup, je suis tombée sur une personne qui m'a fait passer des très bons moments dans mes soirées seule justement. C'est Camille Lelouche, une humoriste qui de chez elle faisait des vidéos où elle se prépare à manger, son quotidien quoi, son quotidien personnel et du coup, elle en a même fait une chanson sur le "Covid". Alors voilà, y a eu aussi un autre humoriste, Jarry, je sais pas si vous connaissez ?



Hublot social : Non jamais entendu parler.



Sara : Donc lui tous les soirs il fait le ''Jarry Show'' en fait, tous les soirs à 18 heures 30. Où il invite des personnalités, des chanteurs, des humoristes, des acteurs. Et voilà, il pose justement ce genre de questions, à savoir comment les gens eux-mêmes vivent le confinement chez eux et après y’a des petits jeux, des choses comme ça. Je trouve que c'est sympa, ça fait passer un bon petit moment pour rire, même si je suis toute seule. Je ris bien, en fait. Là, c'est vrai que depuis aussi quelques temps, le fait qu’on garde nos distances, y’a toujours ce contact avec les résidents, de la proximité ici, donc, non moi je le vis bien en fait le confinement.



 

II. L'épreuve du confinement : des « petites victoires » dans la conquête de soi.

La survenue de problèmes de santé, invalidant momentanément ou durablement, entraîne une “pause” forcée dans le parcours des personnes concernées. Face aux changements de la vie quotidienne et/ou à venir, celles-ci passent souvent par une étape réflexive avant de s’adapter concrètement : se poser des questions, faire un retour sur soi, comprendre les changements… Cette “pause réflexive” donc, utile pour se réinventer, Sara nous la raconte :



Sara : Bah, disons que pour le moment, honnêtement, ma santé est compliquée parce que je suis obligée de refaire peut-être une orientation professionnelle, parce que je ne peux plus rester debout. Je suis vendeuse en boulangerie de métier et en fait, je ne peux plus la station debout trop longtemps, je ne tiens plus. Donc il faudrait que je revoie pour faire une formation pour une réorientation professionnelle avec un poste assis.



Hublot social : Oui, un poste adapté du coup.



Sara : Voilà, oui. Bon, c'est vrai que là, il y a un [enseigne de supermarché] qui va ouvrir sur la commune. J'ai déjà échangé avec l'employeur et du coup, moi au fond de moi, j'ai envie de retourner travailler. Mais est-ce que mon corps va suivre ? C'est ça que je me pose comme question au jour d'aujourd'hui.



Hublot social : Oui, il y a que vous et votre médecin, j'imagine, qui peuvent savoir ce que vous pouvez faire.



Sara : Oui, voilà. Donc à la base, si je perçois l'Allocation d'Adulte Handicapé, c'est vrai que bon, ben j'arrive pas à me... Si vous voulez, à me dire que j'ai ce statut là en fait. J'ai beaucoup de mal à me dire que j'en suis là.



Hublot social : Ça fait longtemps que vous percevez l'AAH ?



Sara : Non je la perçois depuis fin d'année dernière.



Hublot social : D'accord. Et quand vous dites que c'est compliqué pour vous d'avoir ce statut-là, c’est-à-dire ? C'est quoi qui est le plus compliqué ?



Sara : C'est-à-dire que je me sens un peu rabaissée en fin de compte. Parce que bon, je suis quelqu'un de très dynamique à la base, vous voyez et en fait, je ne me reconnais pas en étant un petit peu démunie, de pas pouvoir faire comme j'ai envie. Et surtout, oui, quand on m'a dit que finalement, j'allais plus pouvoir peut-être exercer mon métier, ça a été compliqué à l'accepter. Oui parce que moi, j'aime le contact avec les gens. J'ai 2 ans de vendeuse en boulangerie. De me dire que bon, il faut que je retrouve un travail où je vais pouvoir continuer de travailler dans ce domaine-là. Et c'est pour ça que je me suis entretenue avec l'employeur du [supermarché] qui va s'ouvrir prochainement. Et pourquoi pas postuler pour un poste de caissière quoi.



Même si les récentes conceptions du handicap permettent d'insister sur les ressources des personnes, qui se trouvent en situation de handicap, une mauvaise image persiste, collant à la peau des personnes concernées. Mais ce confinement a été l'occasion pour Sara d'investir l'extérieur de son habitation, de s’approprier ce statut et d'entamer une reconquête de soi :



Sara : Alors, comme j'ai retrouvé un petit peu la santé parce que du coup, j'avais des problèmes au niveau d'un genou surtout, en particulier à la marche, j'avais des vertiges, enfin tout ça. Et maintenant que je n'en ai plus, ça m'a permis de faire plein de choses.



Hublot social : Ah oui ?



Sara : Alors je suis très-très manuelle. Je suis quelqu'un de très manuelle. Donc déjà sur l'extérieur de la maison, j'avais une vue qui ne me plaisait pas du tout. Voilà, sur l'espace jardin en fait, qui m'appartient pas forcément car ça appartient à la mairie. [rires]. Je me suis autorisée en fin de compte à, comment dirais-je, à refaire quelque chose de joli. Donc j'ai travaillé essentiellement à l'extérieur, devant la maison. Et donc, du coup, chaque jour, j'y étais. J'étais quand même confinée mais en étant tous les jours dehors. Ça, ça m'a fait du bien intérieurement, de ne pas rester vraiment seule et confinée, enfermée quoi. Donc, j'ai fait ça et donc du coup, comme je vous le disais hier, là j'ai carrément tout modifié mon intérieur, déplacé les meubles pour que ça me donne en fait une autre vision, d'avoir l'impression d'avoir déménagé, par exemple. C'est une autre vue d'ensemble de mon intérieur. Voilà, ça me fait du bien.



Cette activité extérieure, facilitée par l'arrivée du printemps, a permis à Sara d'améliorer son confort de vie et de s'occuper au quotidien. Mais ce travail lui a surtout apporté de la confiance et la reconnaissance de ses pairs.



Hublot social : Vous, dans votre quotidien, vous arrivez encore à voir des gens ?



Sara : Ah oui, tout à fait. Moi, comment dirais-je, dans ma résidence en fin de compte, tout en gardant toute cette distance qui est d'un mètre entre chaque personne, moi, j'ai attiré plus au moins la foule on va dire ! [Rire]



Hublot social : [Rire] C'est-à-dire ?



Sara : Parce que les gens qui passaient dans la résidence me voyaient à chaque fois travailler dans le jardin et en fait, s'arrêter pour échanger avec moi en me disant “ah ben dis donc vous avez fait un sacré travail, c'est plus joli qu'avant”. Vous voyez ? En fait, ça a créé un échange avec le voisinage.



Hublot social : Et plus d'échanges ? Vous avez l'impression qu'il y a plus d'échanges qu'avant ?



Sara : Oui, moi je trouve. Honnêtement, oui. Moi, je trouve que ça a rapproché les gens. En fait, ce confinement a rapproché les gens parce qu'en en fin de compte, on est tous dans le même bateau on va dire. Et moi, je me dis au moins là, y'a une justice pour tout le monde.



Hublot social : c’est-à-dire ?



Sara : Dans le sens où, entre les riches, les pauvres. Au moins, voilà, tout le monde doit être confiné. Et puis, après ça touche toute personne je veux dire. Et au moins, il y a une justice dans ce cadre-là. C'est à dire que c'est pas encore que les pauvres personnes qui trinquent encore par rapport aux personnes riches, oui voilà, je ne sais pas comment bien l'exprimer.



Hublot social : Est-ce que, peut-être pour finir, vous auriez un message que vous auriez envie de faire passer ?



Sara : Ben un message… Euh… Aimez-vous les uns les autres, déjà. Qu'est-ce que je pourrais dire... Que j'ai hâte quand même de voir mon conjoint parce qu'il me manque. Ben oui, je l'ai pas vu depuis le mois de janvier. Donc, c'est quelque chose qui est quand même assez difficile de ce côté-là, de pas pouvoir être proche. Ça c'est dur. Et puis bon bah, tout ce qui est mon entourage proche, surtout mon fiston quoi. Et puis bon, oui de rester avec ces règles-là qui, en mon sens, vont peut-être justement faire en sorte que ça progresse dans le bon sens. Et voilà que les gens se responsabilisent un petit peu plus envers eux-mêmes et envers les autres.


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