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Derrière les portes du foyer

Dernière mise à jour : 6 juil. 2021

Fraîchement embauchée en tant qu’éducatrice spécialisée en MECS, j’interviens auprès d’adolescents placés à l’Aide sociale à l’Enfance.

Premières impressions - arrêt sur image :





Ces murs austères.

Ces murs qui respirent la colère, la violence traduit l’incompréhension. Des chaises renversées dans la cour. Des insultes au crayon sur les panneaux d’affichage. Des pièces fermées à clés, des placards cadenassés. De larges portails avec des barreaux. Des fenêtres cassées, des trous dans les murs. Ces locaux qui respirent et renvoient à la violence. Traduisant en leurs murs le fruit du passage de jeunes placés, déplacés, de passage.


Pour ce premier jour, je suis « escortée » par la cheffe de service, qui me chuchote le code pour ouvrir le portail donnant sur la cour (alors que nous étions seules), « il ne faut surtout pas le donner aux jeunes » me confiera-t-elle sur un ton grave, nous entrons dans le bâtiment… Ce devait-être ça le « bienvenue ».


Du bruit sans vie.

Ça crie, les mots sont lancés, les règles répétées. L’éducateur qui échange est devenu le chef de meute qui aboie pour garder le troupeau à sa place. Les jeunes reproduisent avec la même intensité la manière dont on s’adresse à eux. Cette tension reste dans l’atmosphère, tel un brouillard épais.


Alors que mon collègue m’explique rapidement le fonctionnement du service, un jeune ouvre le bureau en formulant une demande. L’éducateur le renvoie en criant, lui stipule qu’il n’a pas frappé. Le jeune flanque alors la porte en criant à son tour. L’éducateur sort en se confrontant au jeune « Comment tu me parles ? » Le ton monte.


A la gestion de masse.

Ce collectif par défaut, où brille la diversité. Ces jeunes qui cohabitent, se supportent et s’éprouvent. L’institution désindividualise l’accueil de ces jeunes. Ce n’est plus « lui » mais ce sont d’« eux » dont il est question. Cette vision alimente le rapport de force palpable « éducs vs jeunes ». Elle induit ainsi les équipes éducatives à la gestion, au cadrage, recadrage, au contrôle.


J’apprends vite qu’il faut proposer du contenu occupationnel. On remplit un ''trafic'' de jeunes et « hop » c’est parti…(avec toujours en toile de fond la notion du RISQUE : que va-t-il se passer si l’on n’est pas dans l’action (sous-entendu : face à un groupe d’adolescents) ?).


Heureusement, de ce collectif naît des solidarités (entraides, partage, amitiés, échanges). Souvent invisibilisées par le rythme donné au quotidien, ou encore ralenties par les règles. (Interdictions de se prêter des affaires, pas le choix de chambres, ou encore pas le moment de parler dans la chambre car c’est l’heure du coucher etc..).


L’éternelle quête de la maîtrise par la discipline

La maîtrise par l’intimidation. La loi des « gros bras ». Le chaos se situe une fois que les règles sont remises en question « il teste » dira-t-on dans le jargon. Mais les enfants ne sont pas dupes. Ils ont besoin de comprendre, de saisir le sens des règles, de les entraver à plusieurs reprises. Et l’adulte y voit une confrontation. Un combat à mener. On remet en cause ce qu’il dit, alors qu’il est l’adulte. Et de fait, par ce statut, il s’estime légitime à régner sans justifier ses mots, actes et pensées.


« il faut que tu leur montres que c’est toi qui commandes »; « faut pas qu’ils prennent le pouvoir »; « faut que tu t’imposes direct»; « ils vont te tester »; « ne te laisse pas marcher sur les pieds »... Tels ont été les conseils/mises en garde de mes collègues lors de mon arrivée sur la MECS.


Stigmatisation et étiquetage

L’éducateur me fera une description synthétique pour me présenter les jeunes en leur absence. Il ne me donnera ni l’âge, ni leurs projets, ni leurs besoins, ni leurs habitudes. Mais énoncera pour chacun des problématiques et la posture à adopter vis-à-vis de chaque jeune (comme un protocole). Ajoutant son propre ressenti par des phrases telles que « il est plutôt cool », « il pète souvent » ou encore « il ne comprend rien », « il te l’a met tous le temps à l’envers, faut pas lui faire confiance », « Là il faut faire attention à la mère ».


Voilà les présentations étaient « faites ». Réductrices et faussées mais nommées tout de même. Comme si ces représentations n’allaient pas avoir de répercussions sur l’accompagnement.


L’auto-étiquetage

Le regard posé sur un jeune (au sens stigmatisé, réducteur) l’amène à jouer ce rôle du mauvais garçon, du mauvais élève, celui qui intimide, qui se bat, qui provoque. Il va saisir la casquette qu’on lui attribue et jouer le rôle dans ses caricatures.

Cette façade défie l’observateur, l’interlocuteur, l’accompagnant, de venir voir ce qu’il y a « derrière ». Il teste dira-t-on, je ne crois pas qu’il teste le cadre, la règle, l’autorité… il teste notre capacité à recevoir. Peut-il compter sur nous, peut-il avoir confiance ? Sommes-nous en capacité à recevoir et surtout que risque-t-il à être simplement et authentiquement lui (plus vulnérable)?


Trois jeunes souvent définis comme les éléments perturbateurs sur le collectif s’étaient trouvé un nom de référence « VLN alias les vilains ».


Le paradoxe de l’enfant protégé et l’enfant usager

On assiste souvent à une volonté de protection par le « non-dit », qui cristallise l’accompagnement éducatif « on lui dira plus tard, au dernier moment, faut pas qu’il pète ». Les adultes jongleront maladroitement avec le partage d’information, tantôt sur-responsabilisant pour l’enfant, tantôt réduisant l’enfant à un être qui n’a pas besoin de savoir, ou qui n’est pas en capacité de recevoir.

Dans un modèle qui se veut initialement proche des demandes et besoins de l’enfant, et dans cette volonté de rendre « l’usager » acteur de son projet…

« C’est moi qui décide, (…) on ne lui dit pas » nommera la cheffe de service au sujet de la date d’audience de N. Ainsi, elle invite tous les professionnels à suivre cette dynamique. Ici, on craint la réaction du jeune alors on préfère le garder à l’écart de ces « discussions d’adultes ».

Alors que le lien aux jeunes se nourrit d’une confiance qui ne peut être unilatérale. Le jeune a besoin d’apercevoir, selon moi, la réciprocité, la considération, la reconnaissance : l’authenticité.

Et puis, ne s’agit-il pas d’eux dont il est question ?

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