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Genre et travail social, quel rapport ?



 

Julie est chargée de mission égalité femmes hommes au sein d’une collectivité.



I. Construction d’une posture professionnelle féministe : retour sur une prise de conscience progressive.


Hublot Social : Tu disais que ton engagement féministe date des cours que tu as eu sur le genre quand tu étais en formation. Est-ce qu'avant, tu t'étais déjà questionnée sur les rapports de genre ?

Julie : Rétrospectivement, je peux dire qu'il y a eu des moments de ma vie où ça m'a agacé profondément, même si je ne mettais pas les mots dessus. Donc avant ça, je pressentais des choses, quand même. Par exemple, je trouvais que l'humour était quelque chose de très réservé aux hommes, que une fille pour plaire, ce n'était pas l'humour qu'on allait rechercher d'elle dans un groupe d'amis, surtout au collège, lycée. C'est plutôt les garçons qui prennent la place et qui font des blagues dans la classe. Et aussi, déjà, la question de la place et de l'espace dans les cours de récré.


Je me souviens quand on avait bataillé à mon époque pour découper la cours en deux parce qu'on trouvait que les garçons prenaient trop de place dans la cour, donc on l'avait découpée en deux pour utiliser une partie de leur terrain de foot et pas la totalité et on avait aussi exigé d'avoir une semaine sur deux le baby foot réservé aux filles parce que sinon les garçons prenaient toute la place. Évidemment qu'à ce moment-là, je ne parlais pas de féminisme. Rétrospectivement, je me dis "Ah oui, j'ai jamais trop bien supporté le rôle de princesse.". Je ne m'y suis jamais trop retrouvée.


Aujourd'hui ce qui fait consensus dans la lutte pour l'égalité, c'est les violences et les salaires, c'est à dire que 90% des gens vont te dire "ah oui, c'est pas normal qu'une femme gagne moins". Dans le discours, au moins. Je pense que ça fait consensus, ce n'est pas un objet de clivage. Personne n'a la solution, on peut mettre des règles, des normes, tout ce qu'on veut. Apparemment, ça ne marche pas. Les salaires, c'est la conséquence bien à la fin de la chaîne. C'est le haut de l'iceberg.

 

II. Genre et travail social : quel rapport ?


Hublot Social : Tu vois un lien entre le genre et le travail social ?


Julie : Évidemment, évidemment, évidemment. Et sur deux niveaux. Par exemple, dans les crèches, ils vont beaucoup, beaucoup plus souvent appeler la mère, quand bien même ce serait le père qui serait disponible. Je pense que dans le travail social, on va avoir beaucoup plus d'attentes vis-à-vis des mères que des pères. Donc c'est sur les deux niveaux, c'est à la fois comment on éduque les enfants et comment essayer de ne pas calquer nos injonctions sexistes sur la parentalité.


En fait, les structures sociales aujourd'hui de la famille telle qu'elle est construite ne sont organisées qu'autour des femmes. Les femmes font en sorte de maintenir le lien social entre les gens. Je prends un exemple. J'ai une conversation de famille sur les réseaux sociaux, par exemple une conversation de famille avec mes deux parents, ma sœur et ses deux enfants, qui sont une fille, un garçon. Donc quatre femmes et deux hommes. On est les seules à parler dans la conversation et on se donne des nouvelles régulièrement, et en fait mon père et mon neveu c'est comme s' ils étaient détachés. Ils délèguent totalement cette charge là sur les femmes. Ce sont les femmes qui créent, et qui gardent le lien entre les membres de la famille, avec les amis.


 

III. La mixité comme outil ou par facilité ?


Hublot Social : Et qu'est ce que tu penses de la non-mixité des publics ?

Julie : Ça pourrait être efficace si on travaillait indépendamment avec les garçons sur la question des masculinités et avec les filles, sur la question de la féminité, mais aussi des violences. Parce qu'en fait l'intérêt de la non-mixité, par exemple, statistiquement les femmes sont plus souvent victimes de violence, donc les protéger. Après, j'ai un peu l'impression que la protection de l'enfance, les travailleurs sociaux ne savent pas comment gérer ça, parce que j'ai vu plusieurs indices sur ce truc là.


Au début, je n'arrivais pas à comprendre. Au début, le premier indice que j'ai eu, on m'a dit "Les filles, il faut les séparer des garçons parce que sinon elles font n'importe quoi avec leur corps, elles se mettent en danger." C'était dans les services du Département, en protection de l'enfance. Donc j'ai essayé de questionner un peu. Par exemple, on a reçu le projet d'un foyer pour filles pour travailler sur les questions de féminité. Mais en gros, j'ai compris en lisant et en discutant avec le foyer que les filles ont des comportements sexualisée et du coup, ils se sont dit "on va les mettre entre pairs pour qu'elles apprennent entre elles qu'est-ce qui est un comportement normal et qu'est-ce qui est pas un comportement normal". Et je me dis que les travailleurs sociaux n'ont jamais questionné comme il faut.


Moi j'ai dit, "Si elles se sexualisent, si elles se comportent comme des objets sexuels, vous avez prévu de recueillir la parole s'il y a des choses qui sortent là dessus ?". Bon ils avaient quand même un peu prévu. Mais j'ai eu l'impression qu'ils ne connaissaient pas du tout les apports des recherches comme Muriel Salmona sur la dissociation. Le fait que oui, les victimes de violences sexuelles peuvent avoir des comportements dangereux de dissociation des comportements. Parce que soit elles ont été victimes de violences sexuelles, soit elles ont été témoins.


Et ces professionnels, ils projettent leur morale sur ce que doit être une bonne femme, une femme qui se respecte. Je pense que si la question de la non-mixité est prise dans le sens juste pour éviter les problèmes, c'est pire que tout quoi. Il faut de la mixité, de la mixité tout en prévoyant, en travaillant cette question là. Pourquoi on le fait ? Et si on fait de la mixité, il faut mettre en place des conditions pour que les rapports sociaux entre les deux sexes se passent bien.


 

IV. Être père, être mère : une question uniquement psychologique ?


Hublot Social : Selon toi, quelles sont les responsabilités des personnes qui travaillent dans le social, en protection de l'enfance ou autre, vis-à-vis des personnes accompagnées ?


Julie : C'est de les soutenir, les protéger, de participer à leur éducation. Dans un monde idéal, les travailleurs sociaux participeraient à être des vecteurs d'égalité et à éduquer les enfants à l'égalité parce que sinon ils ne font que reproduire les inégalités. C'est un peu ballot pour un service public. Et aujourd'hui cette question n'est pas du tout travaillée. Les éducs, ils gèrent soi-disant le cœur des sujets, les trucs profonds... Alors qu'en fait, je pense que dans l'égalité, on pourrait aussi trouver des solutions sur l'éducation.


Hublot Social : Pourquoi, selon toi, c'est comme ça ?



Julie : Je pense qu'il y a plein de réponses à ce sujet là. L'une des réponses, c'est que ces femmes là étant déjà majoritairement des femmes, elles vont plutôt avoir l'impression que déjà, dans leur milieu professionnel, il n'y a pas de sujet. Il n'y a pas d'histoire d'inégalités femmes hommes puisque dans leur milieu, il y a que des femmes. Je pense que c'est peut-être aussi des femmes qui elles-mêmes ont choisi un métier du care et du coup, pour lequel ce serait peut-être très violent d'entendre que ce choix là était un peu conditionné par la société.


Et ce que je pense, c'est que la sphère du soin, la sphère familiale, c'est la seule sphère de pouvoir des femmes où leurs compétences apparaissent comme totalement légitimes. Une femme, ça sait mieux s'occuper des enfants, etc. Et du coup, si d'un côté, ça n'avance pas sur les questions de pouvoir, de salaire, etc. Et que de l'autre, on nous dit y compris dans la sphère du care, vous allez perdre du pouvoir, il va être remis en cause. Ça va être un peu compliqué. Donc, je pense qu'on n'a pas envie de lâcher cette sphère-là parce que dans celle-ci on s'y sent quand même légitimes. On n'a pas besoin de prouver 15000 fois parce qu'on transfère nos compétences dites naturelles dans notre compétence professionnelle et personne ne va venir remettre ça en question.


Et je pense que la protection de l'enfance prend les choses tout de suite du point de vue de la psychologie, des familles, des gens, etc. Et du coup, moi, je m'attendais à ce que l'on soit sur du social : est ce que les parents, ils ont des ressources, y compris financières ? Des trucs assez factuels en fait, mais non, en fait dans le travail social, ça rentre beaucoup dans la psychologie des familles et on va demander aux mères et aux pères comment ça s'est passé avec eux mêmes, leurs parents, etc. Quand on est sur les questions psychologiques, c'est difficile d'aller sur des questions d'égalité parce que la psychologie, ça paraît indiscutable, la psychologie d'un individu est unique. On a du mal à faire de la sociologie, quand on fait de la psychologie j'ai l'impression. Parce qu'on ne peut pas réduire les gens à des...


Moi, je pensais que les travailleurs sociaux, c'étaient des gens qui avaient une formation de sociologie. En fait, pas du tout. Ils ont plutôt des formations qui sont psychologisantes et aussi psychanalytique, ce qui pose souci, parce que pour la psychanalyse, tout est de la faute des mères et tout ce qui vient du père est génial et ce qui vient de la mère est forcément pathologique, par essence. Donc j'ai l'impression d'être sur des problématiques graves et dures et du coup ils ne voient pas pourquoi ils parleraient d'égalité, l'égalité c'est un truc politique, c'est un truc lointain. Et ils ne voient pas l'intérêt que cela pourrait avoir dans leur pratique. Des cultures professionnelles qui se percutent et je pense que les travailleurs sociaux, il y en a qui ne veulent pas parler de ça parce que cette analyse psychologique et psychologisante là, elle permet de se placer en surplomb des familles.




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