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En terrain connu ?

Dernière mise à jour : 24 mai 2020

De la libre-adhésion au placement éducatif en internat...


Éducatrice de prévention spécialisée âgée de 28 ans, Léa se dit « semi-confinée ». Après la fermeture de son service, elle a été réquisitionnée, comme l'ensemble de ses collègues, pour aller travailler en internat éducatif.


Hublot Social : Ok. Donc, du coup, on entre un peu dans cette période de confinement. Comment tu vis le confinement?


Léa : Bah y a... Comment je le vis... Il y a différents espaces, y a "comment je le vis par rapport à mon travail", après tout est lié parce que je suis la même personne mais... Hm... Je le vis "moyen", moyennement, j'ai envie de dire. Ce qui contribue à bien le vivre, c'est le fait de vivre dans une grande maison, plus ou moins à la campagne, avec un extérieur, avec mon conjoint et avec qui ça se passe bien, clairement ça y contribue. […] Le boulot, c'est difficile, et d'un côté, je pense que le fait de continuer à travailler, je pense que ça me fait du bien, vu comment je fonctionne ''hors-confinement''. Je bouge beaucoup, je pense que ce serait difficile pour moi de rester tout le temps au même endroit, à la maison. [...] Ça a été un peu dur au début de me dire que j'allais devoir aller travailler alors que, l'heure pour plein de gens était au confinement, où pendant ces vacances "confinement", j'avais pris un rythme qui me convenait. J'ai eu pas mal de questionnements en termes de « c'est quoi les risques pour moi et pour les jeunes ? Ça veut dire quoi de rajouter une personne qui peut potentiellement ramener des microbes dans une maison ? Ça veut dire quoi ajouter comme ça des professionnels avec des jeunes qui nous connaissent pas et qu'on ne connait pas avec une équipe... » Je me suis vachement questionnée là-dessus.


 


I. Prévention spécialisée : du relationnel « hors-les-murs »


Léa fait donc partie des « éducs de rue » qui travaillent au sein de la prévention spécialisée, sur un territoire donné :


Léa : la prévention spécialisée est une dépense non-obligatoire des départements. Le département [concerné] a décidé d'en mettre à certains endroits sur le département. Ils choisissent les endroits en fonction du taux de précarité et de différents critères, mais du coup, la façon dont on travaille, on est les seuls à agir de cette façon-là, sous la libre-adhésion. C'est-à-dire que personne ne peut contraindre un jeune à venir faire des démarches avec nous. Il y a aussi une grosse importance en termes de respect de l'anonymat. Tant que le jeune ne nous fait pas part d'une situation de danger imminent, tout ce qu'il nous confie reste entre nous et on diffuse encore moins d'information sans son accord, que ce soit un parent, prof ou qui que ce soit qui nous le demandent. [...] Mon travail, c'est de me rendre disponible pour les jeunes qui ont entre 12 et 25 ans, à peu près, ça c'est le mandat du boulot sur un espace qui est déterminé par les financeurs, par l'association pour laquelle je travaille, qui est en l'occurrence le quartier de Bouzigues, c'est un espace qui est très défini pour nous. Et on est [plusieurs] éducateurs et éducatrices à travailler sur cet endroit-là. Et l'idée, c'est qu'on puisse aller à la rencontre de ces jeunes par différents moyens. Aller à leur rencontre dans la rue, c'est tout simplement, par deux, on va les voir, on va discuter, on va créer la relation, à la sortie des collèges, au moment où ils sont sur des temps de loisirs, etc. L'idée, c'est que plus on va se voir, plus on va se rencontrer, on va passer du temps ensemble, plus on va se connaître et pour qu'ils puissent ensuite plus facilement venir demander des coups de main pour tout et n'importe quoi. Ça concerne la famille, la scolarité, l'administratif, la justice. Juste discuter pour une écoute, pour des questions de loisirs, pour des questions d'emploi, d'insertion pro, etc. Et quand on a les réponses, on cherche ensemble, [rectifie] 'fin on fait ensemble surtout. Quand on ne sait pas, ben on cherche ensemble et on voit qui peut répondre au mieux à leurs questions.


La libre-adhésion est un des principes de la prévention spécialisée, plaçant la dimension relationnelle au centre du travail de Léa :


Le fait de travailler à la demande, avec le principe de libre-adhésion, c'est à double-tranchant. Moi, ce que j'apprécie là-dedans, c'est que le jeune, un jeune s'il vient faire une demande, c'est qu'il en a vraiment envie et qu'il est prêt à faire ce qu'il veut faire. Mais ça a aussi l'effet, où parfois, un jeune fait une demande d'avoir un coup de main pour quelque chose et dit « je viendrai à telle heure, à tel endroit » et plein de fois, il y a des rendez-vous loupés. Ils viennent pas ou quoi que ce soit, c'est ça, c'est comment travailler quand y a rien. […] C'est comment se réadapter toujours, et puis c'est un travail. Mais voilà, il n'y a pas de journée-type y'a pas quand on va, par exemple dans la rue, je ne sais pas à l'avance qui je vais voir, même si je peux toujours projeter des objectifs « ah j'aimerais bien voir untel parce que ça fait longtemps, parce que j'aimerais avoir des nouvelles » ou ceci ou cela, je ne peux pas prévoir, donc il faut sans cesse que je m'adapte et je ne sais pas sur quoi je suis tombée, sur qui je vais tomber.


Si ce cadre de travail favorise une certaine authenticité dans la relation, la prévention spécialisée n'en demeure pas moins une action publique évaluable : par l'apport de critères d'activité quantitatifs, mais aussi qualitatifs, le service doit démontrer sa « plus-value » – pour reprendre les mots de Léa, qu'elle place elle-même entre guillemets.


Hublot Social : [...] Tu parlais du coup des attentes, en tout cas, je ne sais pas comment tu as utilisé le termes, ce n'est pas rendre compte...


Léa : Comment justifier.


Hublot Social : Oui comment justifier, oui c'est ça.


Léa : Parce que...


Hublot Social : Comment tu justifies, du coup?


Léa : [Léger soupir] C'est compliqué parce que... On nous demande de justifier, souvent par des chiffres, ce qui est quelque chose qui n'est pas justifiable par des chiffres. Le travail qu'on fait, il est pas quantitatif. Pour moi, [rectifie] il peut se compter, oui, si, il peut se compter […] Et ça, tous les ans ou deux fois par an, je ne sais plus, on donne ces chiffres-là avec des, comment dire, différentes catégories, que ce soit de genre, d'âge. Il faut aussi rentrer leur niveau par rapport à la scolarité. Il y a aussi, en fonction du lieu d'hébergement "famille, institutions" ceci-cela, en fonction des axes de travail aussi que nous a donné le département qui viennent plus ou moins aussi des ''diagnostics'' entre guillemets repérés par les équipes de prévention spécialisée. Donc, voilà. Mais par contre, c'est que depuis récemment que lors de ces instances où on doit rendre compte de notre travail, on essaye d'expliquer ce que c'est l'accompagnement individuel, et pourquoi on fait telle action collective avec un groupe de jeunes. C'est tout récent parce qu'avant, ils voulaient juste des chiffres. Mais là, on essaie d'expliquer comme là je suis en train de faire essayer, d'expliquer ce qu'on fait vraiment.


 


II. Confinement et voyage spatio-temporel : vers le placement éducatif et l'internat


Appelée durant ses congés, Léa s'est vue « proposer » - sans avoir vraiment le choix nous avoue-t-elle – d'aller travailler dans une MECS qui accueillent moins de 8 jeunes. Léa arrive dans le but de compléter l'effectif de la MECS, touché par plusieurs arrêts de travail.


Léa : Il faut savoir que la première semaine, j'ai été appelée, j'étais vraiment là pour compléter l'effectif. Après cette semaine-là, j'ai toujours été en plus de l'effectif basique et nécessaire sur cette maison[…] Du coup, les effets, c'est avec l'équipe, tout le planning a dû être modulé pour que, et c'est une demande du chef de service et du coup des directions, de remoduler le planning pour m'y intégrer et me donner des heures, pour... Ben faire des heures en fait, et être occupée à travailler.


Hublot Social : Et comment ç'a été, ç'a été discuté ?


Léa : Pas avec nous. Ça a été discuté en réunion de direction, donc avec les différentes directions et les chefs de service. En gros, de ce que j'ai compris les réunions de direction en début et milieu du confinement, chaque chef de service des structures avec internat disait "voilà, moi, j'ai tel besoin tel besoin." Les autres disaient "Bah moi, j'ai tel salarié tel salarié de dispo", "-ok, ben moi, j'en veux tant".

[…] Pour moi, c'est pas réfléchi. Déjà, premièrement, des effets que ça peut générer chez les jeunes de voir tout le temps des nouvelles personnes arriver, de comment aussi ça peut insécuriser des professionnels, d'un point de vue sanitaire, de rajouter encore des gens qui vont et qui viennent, qui viennent sur les foyers puis qui retournent dans leur famille aussi hein. Donc voilà, ça pose vraiment des grosses questions. Et puis les informations circulent très-très mal entre nous et la direction et inversement. Là apparemment, les préoccupations les plus importantes de notre direction, c'est de savoir combien on fait d'heures, donc de bien communiquer sur nos plannings et l'autre inquiétude qu'ils ont, c'est qu'on pose nos congés, de savoir comment on va les poser. C'est leur deux, c'est les deux choses sur lesquelles nous on est sollicités en tout cas.


Dans ce contexte de crise sanitaire au sein de cet internat, Léa a pu éprouver la difficulté d'appliquer toutes les règles sanitaires à la lettre :


Tout ce qui est "distance à un mètre", ceci-cela, non c'est pas respecté. On vit avec eux, 'fin on vit chez eux chez les jeunes, j'entends. Eux ils sont confinés, mais nous on fait des allers-retours et c'est clairement compliqué. Il y a aussi un protocole normalement qui doit être appliqué quand des jeunes peuvent faire des fugues et revenir après.[...] En gros, il faudrait qu'on lave leurs vêtements, qu'ils prennent une douche, qu'ils soient obligatoirement masqués et gantés quand ils sont dans les espaces collectifs, qu'ils ne mangent pas avec les autres, que leur chambre soit aérée toutes les trois heures et qu'ils soient confinés pendant quinze jours il me semble, [insiste] dans leur chambre. C'est quelque chose qu'on ne peut pas tenir ! On respecte au maximum bah, laver les fringues, prendre une douche, etc. Les trucs qui sont possibles en fait, mais on ne peut pas les enfermer dans... C'est le confinement dans le confinement, [léger rire] c'est pas possible quoi. C'est comment aussi, faut dire qu'il y a les règles sur le papier, c'est comme plein de choses et, c'est comment aussi on fait en sorte que ça se passe au maximum du mieux pour eux quoi.


Comme pour toute personne nouvellement arrivée dans un service, certaines choses peuvent « étonner ». C'est le cas pour Léa qui, malgré une expérience préalable en internat, a pu témoigner du décalage qu'il peut y avoir entre la prévention spécialisée et l'internat éducatif :


Hublot Social : T'es arrivée dans une nouvelle équipe, mais aussi dans une nouvelle structure, une structure du coup « internat »... Qu'est-ce que tu as observé ? Comment ça s'est passé pour toi l'adaptation ?


Léa : Hm... Ben en fait, pour moi, avec les jeunes, ça se passe et puis ça se passe bien encore aujourd'hui. C'est plus moi avec le fonctionnement de l'internat, les règles que peuvent instituer l'équipe, ces choses-là qui me questionnent. Puis ça peut être des choses hyperbêtes. Je sais que le premier truc qui m'avait choqué, c'était sur un temps de repas. Moi, je dis aux jeunes de se servir et on me dit "ah non-non, ils se servent pas, parce que sinon ils savent pas ou ils vont pas se limiter" en gros, ils savent pas partager. On parle quand même de jeunes des 14-16 ans [léger rire], ils sont grands, ils peuvent manier une cuillère, se servir. En fait, c'est comment, pour plein de petites choses, ou alors, [précise] j'ai pas lu les projets personnalisés hein, je pense qu'ils sont, faudrait peut-être que je le fasse, Mais je pense qu'ils doivent bien être bardés de "autonomiser" machin, pour aller vers l'autonomie des jeunes. Comme dans plein de petites choses en fait, on les rend dépendants de notre présence dans cette maison, que ce soit, là pour se servir à manger, que soit pour aller dans telle pièce parce qu'il faut une clé, parce que ceci, c'est sous clé. C'est impressionnant quoi! Je veux dire, il y a, c'est rigolo parce qu'il y a une cuisine, mais le frigo de la cuisine, il est vide. Il y a un deuxième frigo dans la cave, avec toute la bouffe dedans parce que sinon, "il y a un des jeunes qui mange tout". Donc, tout est sous clé. Donc, au lieu de j'sais pas... Peut-être de gérer quelque chose qui n'est pas facile, des vols de bouffe ceci ou cela, on met sous clef. Tout est sous clé. Je sais que pareil, moi, j'ai une fâcheuse tendance, parce que dans mon travail de tous les jours j'ai pas cette inquiétude-là de me faire voler mes affaires, ben je laisse traîner mes téléphones, ceci-cela. Encore hier, toute la journée, j'ai laissé traîner mes deux téléphones partout dans la maison, dehors, sur la table... À chaque fois, [léger rire] mon collègue me les ramenait! Ou un des jeunes, pour me dire "fais gaffe, tu laisses traîner ça".


Outre quelques pratiques qui demandent du temps pour être intégrées (c'est le cas notamment de l'usage du « + » par les professionnel·le·s du social, qui fait l'objet d'une classification sérieuse, comme nous l'a rapporté l'éducatrice avec amusement), Léa a pu faire l'expérience d'un entrechoc entre différentes conceptions :


[À propos des transmissions] En fait, tout est... Tout est inscrit. Tu vois là où en prévention spécialisée, on travaille beaucoup à cette relation et à donner un espace, un peu intime aux jeunes, leur garantir un peu cet espace-là. Là, j'ai l'impression que tout devient public, mais sans que les jeunes le sachent vraiment, peut-être. Est-ce qu'ils se rendent tous compte que leur vie, H24 7sur7, est écrite dans... Ouais, 'fin... C'est beaucoup. J'sais pas.


Hublot Social : Est-ce que tout est écrit ? Quand tu dis "il faut tout écrire", c'est quoi ?


Léa : Faut dire ce que tu fais, ce qui se passe... Après c'est plus ou moins détaillé en fonction des personnes qui écrivent. Ça dépend. Y en a qui vont écrire des romans, y en a qui vont oublier de les faire. 'Fin, tu vois ça, ça dépend. Mais... Je sais pas, est-ce que c'est important d'écrire autant ? 'fin je sais pas.


Hublot Social : Précisément à toi, est-ce qu'on t'a demandée d'écrire des choses ?


Léa : Ouais.


Hublot Social : C'est quoi?


Léa : Bah on me demande d'écrire ce qui se passe dans la journée, et encore plus quand je vis des moments, des discussions... [...] Moi du coup, ça m'a posé un réel cas de conscience! J'en ai parlé à l'équipe en disant "Mais moi, je fonctionne pas comme ça". Surtout, voilà, la jeune a confié [se reprend] a dit des choses intimes, ça a été un moment chargé et dur pour elle à vivre, bah du coup, je ne me voyais pas écrire ça. Donc, j'en ai parlé aux collègues et je leur ai expliqué ma pratique habituelle en prévention spécialisée. Et en leur disant "voilà, moi, je me vois difficilement écrire ça sans l'accord de la jeune en fait". Bah du coup, je suis allée voir la jeune, j'en ai parlé avec elle. Et je lui ai demandé si elle était OK ou pas? Est-ce que je mets tout ou pas? Après la jeune elle m'a dit "oui, je sais qu'ils écrivent". Elle m'a dit "OK", mais clairement moi, ça ne va pas de soi. Voilà.

[…] Et puis, ouais alors ça c'est encore autre chose, c'est une façon de travailler. Moi, je bosse en prévention spécialisée. Je bosse avec ce que les jeunes me disent, que ce soit du mensonge ou quoi, moi je ne suis pas inspectrice pour essayer de chercher le vrai du faux. [...]


Hublot Social : C'est l'expression des souhaits, des besoins, des désirs des jeunes que tu penses... pas écoutée?


Léa : Ouais... On fait pas toujours assez attention à ça quoi. On calque rapidement... On calque rapidement... L'idée que... Ouais j'sais pas, ils doivent énormément avoir en tête le projet, les objectifs, parce qu'ils sont aussi dans cette dynamique-là j'imagine! On leur demande des rapports. Je veux dire, nous en prévention spécialisée je ne suis plus cadrée par tout ça. Ça me permet de me défaire de ces attentes institutionnelles. Et eux forcément, s'ils ont aussi cette pression-là, ben, ça doit forcément s'inscrire à un moment donné un peu dans ton ADN de travailleur et travailleuse social·e. Donc, ouais, ça laisse moins de place à la spontanéité de la relation et de pouvoir vraiment, vraiment écouter. Et de pas toujours se calquer sur des objectifs de « Ah, au bout d'un an, il faut qu'elle ou qu'il ait atteint tel niveau en autonomie, il faut qu'à tel âge, ceci-cela. Il faut que ça réponde aux objectifs pour que les référents-référentes voient qu'il y a une vraie évolution, ceci-cela machin, qu'il y ait des choses à dire », 'fin j'en sais rien. J'suis un peu loin de ce système-là [rectifie] de ce fonctionnement pardon. C'est ce que j'imagine pour le coup.



 


III. Présences éducatives : ici et pas ailleurs ?


La période de confinement peut nous renseigner sur les différentes conceptions de notre travail. Par « présences éducatives », nous invitons par exemple à concevoir un accompagnement qui ne se réduit pas au simple fait d'« être présent·e ». C'est en tout cas ce point de vue que nous propose Léa par ces questionnements :

Léa : Le jour de ce coup de téléphone-là, moi ce que je lui dis « Ok pour cette prise de poste, mais comment je fais pour les jeunes avec qui je suis d'habitude? » Et à ça, on m'a répondu « Ben, je peux pas vous demander de faire deux emplois en même temps, d'être en internat et en prévention spécialisée. Mais je ne peux pas vous empêcher non plus de garder un contact avec les jeunes. » Ça a été la réponse de ma direction. Parce qu'il faut savoir qu'on a chacun un téléphone pro. Donc, j'ai un compte SNAP, j'ai accès à Messenger et les jeunes ont nos numéros etc. [...] Et on me dit ni oui ni non. On me dit « faut pas que tu fasses les deux, mais de toute façon, on ne peut pas vous en empêcher. » Donc ça, ç'a été les premières indications. Quelques semaines après, on a reçu un mail, je crois, nous disant « les personnes, les salariés de la prévention spécialisée qui ne sont pas en poste dans des internats et ne font pas 35 heures par semaine, doivent compléter leurs heures pour arriver à 35 heures en télétravail, avec la prévention spécialisée. » Donc c'est à dire se débrouiller à faire, je sais pas si je fais moi, par exemple, en internat, je fais par exemple 32 heures sur la semaine, il faut que je me débrouille pour faire trois heures [léger rire] de prévention spécialisée.

Faut se dire que moi, j'ai fait le choix de garder mon téléphone allumé et de maintenir le lien et de répondre aux jeunes qui m'ont envoyé des messages et de prendre de leurs nouvelles aussi. Pas que attendre 'fin, juste recevoir ce qu'on m'envoie, ça me paraissait important de leur dire où on était, ce qu'on faisait etc.

[…] Après ça, donc une situation délicate avec un jeune à gérer, et j'appelle mon chef pour lui passer les infos...


Hublot Social : Juste en quelques mots, c'est quoi cette situation délicate?


Léa : Un jeune qui vit très mal le confinement et qui vit dans un appartement avec [des membres de sa famille et une personne extérieure à celle-ci]. Et qui commence à se scarifier, à se faire du mal, à avoir des idées noires, etc.


Hublot Social : Et qui t'en fais part du coup?


Léa : Ouais, qui m'en fait part via Snap. Et du coup, voilà, j'ai reçu ce qu'il avait à me dire et j'en ai fait part, avec l'accord du jeune bien sûr, à mon chef. Et du coup, n'ayant pas la possibilité ou même l'accord d'intervenir physiquement, d'aller voir ou quoi que ce soit, il fallait que, on m'a demandé de trouver une solution pour faire du relais. [...] Mais quand j'en ai fait part à mon chef, on m'a dit « Léa écoute, t'es sur l'internat, t'es déjà là-bas, j'entends que ça te prend beaucoup, ça te travaille beaucoup, mais en fait, il faudrait que tu éteignes ton téléphone. » Ce à quoi, enfin en tout cas ç'a été dur pour moi d'entendre ça, émotionnellement, qu'on demande ou qu'on dise comme solution « Ben, éteins ton téléphone et en fait, laisse » [léger rire] en gros c'est ça « laisse les jeunes qui peuvent te contacter ». Peut-être pour trois fois rien des fois, ou peut-être des trucs graves. Et puis je me voyais absolument pas le faire quoi, c'est juste pas possible. Et plus on met du temps à revenir là-bas... Voilà, du lien ça s'entretient un minimum aussi.

[…] Et on laisse toujours les mêmes en fait, j'ai l'impression. On laisse tomber, on laisse tomber les... Des endroits comme les jeunes qui sont dans les quartiers, etc. Où du coup, c'est un territoire qui est déserté en termes de services publics, en termes d'animation, en termes de tout. Et nous, on nous accole comme mandat d'être, de prévenir les personnes, alors ça c'est sur le papier au niveau des financeurs, de prévenir les phénomènes de marginalisation, et on retire même la prévention spécialisée dans ces espaces-là. Il reste quoi, en fait? Il reste qui? À un moment donné... Oui, les jeunes en internat, les ceci et cela, mais. On ne pense vraiment pas à tout le monde dans ce grand bazar quoi...


Fin : « Est-ce qu'il y aurait un message que t'aurais envie de passer ? »

[Léger soupir] Bah, de faire du bruit [léger rire]. Non, mais de faire du bruit, 'fin, c'est aussi ce que vous faites. Bref, il faut faire passer les messages quoi et puis il faut qu'on trouve des solutions, pour vivre autrement. Et comment on fait attention plus aux "petites personnes" entre guillemets, que aux gens qui dominent. Voilà.

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